Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/77

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— Est-ce que vous ne recevez pas tous les jours des nouvelles de Chambéry ?

— J’en reçois de deux jours l’un : elle m’écrit des billets très-courts, et qui ne m’apprennent rien de l’emploi de son temps. Ordinairement, nous ne nous quittons point de tout l’été, hormis pour les grandes fêtes religieuses, qu’elle va célébrer auprès de sa tante. L’hiver, nous nous séparons franchement. Je n’aime pas Chambéry. Je passe quelques mois à Lyon, où j’ai des connaissances, et où il fait moins froid que dans nos neiges. Alors ma Lucie m’écrit de longues lettres charmantes, qui font ma consolation et mon orgueil ; mais la séparation qu’elle m’impose en ce moment, en plein été, sans cause suffisante selon moi, m’est fort pénible. »

Je fis observer à M. de Turdy que j’étais la cause de son chagrin, et qu’il eût été beaucoup plus logique de la part de Lucie de m’envoyer à Chambéry, avec défense d’en sortir jusqu’à nouvel ordre, que d’y aller elle-même pour m’éviter.

« C’est ce que j’ai dit, reprit-il ; mais elle a insisté si vivement, que j’ai dû céder, et je vois bien qu’il y a sous jeu quelque chose qu’on me cache.

— À vous ? On vous cacherait quelque chose ?… Non, Lucie vous adore !

— Ah ! que voulez-vous, mon cher ! la dévotion rompt sans façon tous les liens du cœur et de la famille ; mais voilà que je me plains à vous, comme un vieux enfant que je suis, à vous qui souffrez peut-être un peu aussi pour votre compte !

— Je souffre beaucoup, répondis-je, car j’aime mademoiselle La Quintinie plus que je ne puis l’exprimer. »

Il me serra les mains, et nous oubliâmes la partie de trictrac. Il était beaucoup plus expansif que la veille et comme découragé de la vie. Il essaya de faire l’esprit