Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/83

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je n’étais rien pour Lucie. Avant moi, il y avait en elle l’ascétisme, ou la musique, ou cet inconnu qui entrait avec elle dans le sanctuaire des femmes, peut-être le même qui portait des lis dans la chapelle du rocher, à la clarté des étoiles : que sais-je ? Il y a une passion immense dans l’âme de Lucie, et je ne suis point l’objet de cette passion !

Mon Anglais s’aperçut que j’étais pris de défaillance. Il me ramena à Aix dans sa voiture avec beaucoup d’obligeance et de courtoisie. Je me remis au lit, et je dormis près de quarante-huit heures. Je crois qu’on m’a saigné ; on a mis le tout sur le compte d’un coup de soleil. J’ai passé encore deux jours à me remettre ; enfin, je suis très-bien, très-fort, très-calme aujourd’hui. Je me suis occupé, durant cette inaction forcée, à me détacher de Lucie, à repousser de moi cet amour impossible, insensé, misérable, et qui me rendrait injuste et méchant, je le sens bien ! Je n’ai plus voulu rien savoir d’elle. J’ai prié Henri et madame Marsanne, qui m’ont soigné avec une bonté parfaite, de ne pas prononcer son nom devant moi, et de ne rien t’écrire de mon indisposition. Je me suis senti de force à te raconter tout moi-même. Je suis guéri physiquement, et dans deux jours je pars pour te rejoindre. Ah ! mon père ! je suis bien malheureux ! mais tu sauras peut-être guérir ton Émile.




III.


M. LEMONTIER À SON FILS, À AIX EN SAVOIE.


Lyon, 6, juin,1861.

Avant de quitter Lyon, où notre rencontre a modifié tes projets, je veux résumer notre entretien de douze