Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/88

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traversons, je ne dois pas te donner plus d’insouciance ou d’optimisme que je n’en ai. Donc, j’ai répondu franchement : « Oui, mon enfant, l’intolérance religieuse peut triompher, et recommencer dans peu d’années l’esprit du règne de la Restauration. » Il ne faut pour cela qu’une suite d’événements désastreux dont elle saurait profiter, parce qu’elle veille, parce qu’elle est organisée, parce qu’elle est prête. Elle ne conspire pas, je crois, pour ou contre tel nom propre. Elle n’a pas besoin de renverser les gouvernements ; elle s’accommode de tous ceux où elle peut s’insinuer, faire sa place et empêcher la liberté de discussion, qu’elle n’invoque que lorsqu’elle en est privée pour son compte. De sa nature, l’intolérance, quand elle n’est pas hypocrite, est, comme toutes les mauvaises passions, inconséquente.

Il y a une chose certaine, c’est que, si l’interdiction de la presse libre se prolonge beaucoup et si nos contemporains s’endorment sous certaines influences cléricales, avant dix ans le faux christianisme, l’hypocrisie, l’esprit persécuteur en un mot sera debout, et c’est alors qu’il faudra dire : « La mort s’est levée, le spectre s’est roulé sur les vivants. Il écrase, il menace, il enlace, il tue, il poursuit l’individu dans tous les développements de son existence, dans ses intérêts, dans ses affections, dans ses devoirs, dans ses droits, dans son honneur. Il a étendu sur les masses le linceul du silence. Les plus mauvais jours du passé n’ont point vu une propagande d’étouffement si ardente, un zèle de meurtre intellectuel si perfide et si tenace, un anéantissement si honteux de la conscience sociale, une démission si abjecte de la dignité humaine. »

Voilà ce que je te dirai peut-être à ma dernière heure, qui sait ? Mais, dès aujourd’hui, il y a une prédiction que je peux te faire, c’est qu’en me suivant dans la voie où