malgré mes préoccupations personnelles, m’avaient frappé dans la soirée. Le jeune la Thoronays m’avait paru soucieux et un peu acerbe avec sa fiancée. Celle-ci avait été aimable avec Montroger, qui n’y avait pas paru insensible. Peut-être Erneste nous ménageait-elle l’énorme surprise de guérir Montroger de sa grande passion. Dans ce cas-là, Emma, qui n’avait pas cessé de prétendre à la même conquête, deviendrait son ennemie.
— Voilà ce que tu as observé ? me dit ma tante. Eh bien, tu n’as pas si bien observé que moi. Emma a jeté son dévolu sur Julien. Elle travaille à nous l’enlever. Je ne crois pas qu’elle réussisse à l’accaparer, mais elle peut nous brouiller avec lui. Tous ces enfants-là jouent un jeu qu’ils croient très-fort et qui n’est que brutalement ingénu. Hélas ! oui, il y a un certain cynisme dans les relations de ce jeune monde ; c’est le contre-coup du grand steeple-chase social. On n’aime pas, on n’a plus besoin d’aimer pour se marier. Ma pauvre Erneste elle-même n’a pas eu le cœur touché comme je le croyais. Elle n’était qu’un peu effleurée. Ce mariage lui plaisait. Elle se souciait médiocrement du mari. Ce soir, Emma a démasqué ses batteries. Julien a voulu éprouver Erneste, et la terrible enfant n’a pas voulu lui donner le triomphe de paraître piquée. Elle a eu l’air de ne rien voir et s’est rabattue sur Montroger pour mortifier sa rivale. Montroger est un peu vain et facile à enivrer de badinage et d’œillades ; mais tout cela, c’est le petit feu d’artifice d’une soirée d’émotions que l’on a voulu se donner. Demain, Julien sera ici pour combattre Montroger, qui sera à la chasse, parfaitement oublieux de l’aventure. Ces demoiselles se raccommoderont. Elles se détesteront