Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/165

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— À quoi pensez-vous ? me dit-elle.

— Je ne pense pas, je suis heureux.

— De quoi ? Voyons ; définissez ce bonheur, cela m’intéresse.

— Je suis heureux de voir une personne comme vous entourée de l’amour qu’elle mérite.

— Vous aimez donc la vie sauvage et les gens incultes ? Vous aviez l’air, l’autre jour, de les dédaigner, un peu.

— L’autre jour, j’étais un égoïste ; j’aurais voulu vous isoler de tout ce qui vous aime pour accaparer votre attention, ou pour avoir le monopole du dévouement. Aujourd’hui, ceux qui vous chérissent me sont chers, et il me semble que ma puissance d’aimer est centuplée.

Je ne sais pas ce que j’aurais dit encore, lorsque, en me retournant, je vis debout, auprès de la table, celui qui se faisait appeler M. le marquis de Rio-Negro.

Le père Guillaume, qui était très-prudent et très-fin, s’était levé comme par politesse, afin de forcer le personnage à être poli ; mais ce fut peine perdue. Il passa près de lui en le frôlant sans respect et en répondant à peine d’un signe de tête à son salut ; après quoi, il marcha droit à la cheminée, comme s’il eût voulu parler à Célie sans être introduit et annoncé par ses hôtes.

Je me plaçai entre elle et lui sans affectation et comme par hasard, mais de manière à le forcer de me toucher pour faire un pas de plus. Célie était tout an coin de la cheminée. En un clin d’œil, M. Bellac, Stéphen et la famille Guillaume firent un cercle étroit autour de nous. L’étranger mesura de l’œil l’épaisseur de ce rempart humain ; mais il avait beau avoir l’at-