Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/199

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lèvres comme un flot sur le rivage, et mon cœur était inépuisable comme la mer. J’avais l’infini dans l’âme, et le verbe s’en épanchait comme d’une urne toujours pleine. Je lui dis mon amour jusqu’à briser ma voix et dessécher mes lèvres. Elle me regardait et m’écoutait, immobile et comme paralysée par la surprise, par une curiosité avide, par une sorte d’éblouissement naïf. Ah ! c’était bien la première fois qu’elle entendait l’accent de la passion ! Tout à coup, elle devint pâle, de vivement colorée qu’elle était, et, posant la main sur mes lèvres :

— Assez ! dit-elle, vous me feriez oublier…

Puis elle cacha de nouveau sa figure dans ses mains et fondit en larmes.

Elle m’aimait ! elle ne le disait pas, et je n’avais pas l’imprudence d’exiger qu’elle l’avouât ; mais je le voyais bien. Je voyais éclore en elle ce trouble divin d’une âme qui s’éveille, qui craint de rêver, et aussi cette touchante coquetterie de la femme qui se berce au doux son de la prière et qui craint d’interrompre l’hymne de sa première apothéose. Lui demander de répondre, de promettre, de s’engager, c’eût été profiter d’un moment de surprise. Je ne commis pas cette faute grossière. L’amour est délicat et ingénieux, il a toute une théorie d’instinct qu’il applique d’inspiration sans l’avoir étudiée.

Elle me sut gré de ce que je lui demandais précisément de ne pas me répondre encore. Une fierté si longtemps préservée ne pouvait se rendre sans effroi que par un consentement bien personnel et bien loyal. Je ne lui demandai même pas la cause de ses larmes, je ne me hâtai pas de les interpréter comme un triomphe ! je la suppliai d’avoir confiance en moi