Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/204

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» — Vous êtes libre, lui dit-on ; mais malheur à vous ! vous brisez le cœur de vos parents.

» Vous savez ce que j’ai souffert de la part du plus tendre des pères. Quelle est donc la persécution réservée à celles que l’on n’aime pas ? La mort de l’amiral, au milieu de ces circonstances cruelles, me rendit faible et craintive. Je crus sentir sa malédiction sur moi, j’eus des hallucinations, et, dans le délire, je demandai à Bellac d’aller dire à Montroger que je voulais racheter mon âme en l’épousant. Si Bellac eût été, comme on se l’imagine, un homme sans jugement sur les choses de la vie pratique, je serais aujourd’hui madame de Montroger, heureuse selon le monde, entourée de considération et à l’abri de toutes les folles suppositions dont je suis l’objet malgré l’austérité phénoménale de ma vie. Certes, mon existence eût été plus facile. Montroger ne se serait jamais douté qu’il n’avait que la moitié de mon âme. J’aurais pu, avec de la prudence, vivre de l’autre moitié, comme tant d’autres femmes ; mais Bellac jugea ou devina ce que j’avais de loyauté dans le cœur. Il se dit que je ne me partagerais pas et que je mourrais de chagrin. Il m’emmena, comptant sur les sciences pour me consoler.

» Cela vous paraît bien ingénu peut-être ? Peut-être croyez-vous à une trop notable différence de niveau intellectuel entre les deux sexes ? Bellac, avec son indifférence pour les croyances reçues, me fit l’honneur de penser qu’avec son aide mon cerveau femelle pourrait arriver à fonctionner comme le sien. D’ailleurs, ce pur amant de la science avait la foi. Il ne croyait pas possible qu’on ne devînt pas l’adepte passionné de son culte, dès qu’on avait entrevu la