Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/205

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divinité. Il prit sur lui d’obéir littéralement au médecin. Il m’emmena dans les montagnes, dans les pays chauds ; il me fit faire connaissance avec le soleil, et il me plongea dans l’histoire naturelle, à laquelle j’avais été déjà initiée avec quelque succès. Les dix-huit mois pendant lesquels, comme deux oiseaux voyageurs, nous suivîmes l’été de climat en climat sont restés dans ma mémoire comme le rêve le plus doux et le plus pur de ma vie, et, si je n’en parle pas volontiers avec tout le monde, c’est dans la crainte d’en parler mal, de sembler emphatique, ou niaise, ou maniaque, ou prétentieuse, et de n’être pas comprise. Comment madame de Malbois, qui ne songe qu’à marier richement sa fille, admettrait-elle que la joie d’échapper à un brillant mariage me faisait apprécier d’autant plus la solitude et l’oubli du monde ? Comment Montroger, qui, tout en préconisant à grand bruit les progrès de l’agriculture, n’a jamais su distinguer un brin d’herbe d’avec un autre, se persuaderait-il que j’ai trouvé des délices dans l’étude des plus petits faits de la nature ? Il s’occupe si peu d’approfondir quoi que ce soit, qu’en fait de géologie, il en est encore aux explications de la Genèse. Son esprit s’en contente, et je l’épouvanterais, si je lui disais que je ne m’en contente pas.

» À ces études charmantes se joignait le régime bienfaisant de vivre au grand air, le plaisir de sentir renaître mes forces, de faire de longues marches, de braver quelques dangers et de vivre au hasard de l’imprévu. Quand nous avions trouvé un gîte passable dans un beau site ou dans une localité intéressante, nous nous y arrêtions quelques jours. Nous ne rencontrions que des inconnus ; le milieu factice que