Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/212

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partie, et chez lui ce véhicule est si puissant, que je dus m’en servir pour le préserver des abîmes. L’amour complètement désintéressé n’était pas une notion à son usage. Il est de ces esprits positifs et absolus pour qui le bien est un droit à la récompense. Son obstination ne voyait cette récompense que dans ma préférence pour lui ; mais plus je le voyais bon garçon et homme d’instinct, moins il m’était possible de le prendre au sérieux. Malgré ses dix ans de plus que moi, c’était comme un gros enfant que j’avais à conduire. Dans un moment de reconnaissance, auprès du lit de mort de l’amiral, je m’étais juré de ne jamais blesser cet amour-propre que je savais déjà être le levier de son caractère. J’avais donc à cette époque résolu de ne pas me marier tant qu’il ne serait pas marié lui-même, et j’avais tenu parole sans grand effort et sans grand mérite.

» À l’époque où, pour l’empêcher de se perdre dans la débauche, je dus frapper son esprit par une sorte d’oracle mystérieux, je renouvelai en moi-même le serment d’attendre qu’il m’eût oubliée. Ce fut une imprudence dont sa vanité s’empara comme d’un espoir fondé et d’un droit acquis. Sans bien comprendre ce à quoi je m’engageais, car je ne devais ni ne voulais le lui dire, il pressentit en moi un dévouement dont il n’eut pas la délicatesse de vouloir me tenir quitte.

» D’abord je ne m’en alarmai pas. Sa mère mourait, il avait du chagrin et des préoccupations de fortune. Il eut peu d’efforts à faire pour remettre de l’ordre dans ses affaires ; car, s’il est facile à entraîner et capable de signer sa ruine après un souper,