Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/240

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il s’était privé de l’échange du dévouement comme d’un vain luxe. Toujours prêt à obliger, à secourir, à servit tous ses camarades, il n’avait jamais eu de préférence pour un ami. Il n’avait rien à confier à personne, et, en se faisant une vie rude et austère, il s’était arrangé pour n’avoir besoin de personne.

Cette situation hors nature ne lui fermait-elle pas absolument le livre de la nature, qu’il se flattait d’ouvrir de force ? Vaine tentative ! il sentait le poids de la solitude sans vouloir se l’avouer. Il était triste sans en savoir la cause : il s’ennuyait. Le travail l’enfiévrait régulièrement un certain nombre d’heures chaque jour ; après quoi, il retombait dans un morne accablement qu’il qualifiait de contemplation, à moins que quelqu’un ne se chargeât d’entretenir sa fièvre en le contredisant et en le poussant à ces discussions vives et passionnées où tant d’artistes cherchent une vie factice qui les épuise.

Le problème à résoudre était donc de le faire sortir de lui-même en lui rendant nécessaire la société d’un de ses semblables quelconque. Célie avait dit : « La vie ne se complète que quand on est deux. » Pour donner la vie à Stéphen, il fallait réussir à lui inspirer une affection déterminée. Le jour où, en parlant d’un de ses camarades, si, au lieu de dire : « C’est un brave garçon, » il lui venait sur les lèvres de dire : Je l’aime, c’est mon ami, une transformation serait opérée, et pouvait conduire à toutes les autres. Quel autre ami pouvais-je offrir à Stéphen que moi-même ? Je n’en avais pas d’autre sous la main, et moi seul d’ailleurs pouvais me mettre dans la tête et dans le cœur de l’aimer. Il était aisé de voir que personne ne s’en était donné la peine : il était si peu aimable !