Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/247

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nent à bout que d’en simuler la surface. Celui qui parvient à détruire en lui le sens humain va au crime ou à l’idiotisme ; celui qui n’y parvient pas s’immobilise dans la souffrance : c’est à celui qui n’a ni la faculté ni la prétention de ne pas souffrir, de le plaindre et de souffrir avec lui, s’il ne peut le consoler, et voilà ce que l’on appelle aimer I Ne me demandez pas de l’indifférence, Stéphen, je vous répondrais de ma vraie voix : « Je n’en ai pas ! »

— Mon cher, reprit-il après un instant de silence. Je n’ai pas beaucoup d’esprit pour vous répondre ; mais je vois une chose, c’est que vous êtes très-gentil, vous, et que je n’aurais pas été tout à fait malheureux, si j’avais eu un ami comme vous, délicat d’intelligence et un peu féminin de cœur ; car il y a de ça en vous, et vos raisons me rappellent la mère que je n’ai pas eue et que j’ai quelquefois rêvée !

— Vous avouez donc que vous avez été malheureux ?

— Ne pas avoir de bonheur, c’est être malheureux, pardié ! mais c’est si bête de le dire !

— Oui, de le dire à ceux qui sont trop bêtes pour comprendre. Si vous m’accordez que j’ai l’intelligence de ces choses-là, pourquoi repoussez-vous l’ami que votre malheur ne rebute pas ?

— Est-ce que je vous repousse ? s’écria-t-il en se levant comme s’il allait se jeter dans mes bras.

Mais il eut peur d’être puéril, et, se rasseyant :

— Non, sacredieu ! reprit-il, je ne repousse pas l’amitié ! Je ne peux pas la nier, moi, puisque je l’ai ressentie plus d’une fois. Oui, le diable me griffe ! si je m’étais laissé aller, il y a bien des gens que j’aurais assommés… mais trop haut perchés pour moi, de grands artistes, des femmes superbes, gracieuses… ou