Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/249

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pas que l’artiste doit se priver de tout ce qui n’est pas son art ?

— Certainement je vous donnerai raison quand vous m’aurez démontré qu’il y a une seule émotion qui ne rentre pas dans le sentiment de l’art, ou qui ne serve pas à son développement en nous-mêmes.

Ceci nous conduisit à une longue discussion où je m’attendais à lui voir porter son âpreté et son parti pris d’habitude. Il n’en fut rien. Il se montra très-attentif, très-curieux de mes idées ; il m’interrompit souvent, mais ce ne fut que pour me suivre jusqu’au fond de mes appréciations. Je le savais intelligent ; à la lucidité de ses objections, je vis qu’il l’était beaucoup plus que je ne pensais, et qu’il cachait cela comme le reste, dans la crainte d’être raillé ou mal compris. Je ne lui dissimulai pas que je le trouvais aussi fort que n’importe qui, et que je ne lui permettrais plus de se taxer de cerveau inculte. Il n’avait peut-être pas beaucoup lu, mais il avait bien lu et sainement critiqué. Quand nous nous quittâmes ce soir-là, nous avions fait un immense pas l’un vers l’autre, nous étions sûrs de ne jamais nous gêner mutuellement et de n’être plus forcés de nous disputer pour tuer les heures.

Peu de jours après, nous étions inséparables ; je lui sacrifiais mes rêveries, il oubliait pour moi sa chère palette. Il consentait à regarder le paysage, à trouver un sens à toutes choses, une physionomie à tous les êtres, et je n’avais rien à lui apprendre à cet égard. Il avait été épris de toute la nature. Il eût voulu tout saisir à la fois ; puis, épouvanté de son audace, il s’était rabattu sur une spécialité sans comprendre que