Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/255

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caines dans son jardin bien clos et jalousement gardé, le marin du Nord, plus poétique et plus sombre, ne daigne pas donner un coup de bêche au sol qui le porte. Il a horreur du travail sans émotion et sans péril. Il achète quelques toises de rocher, se bâtit un abri, et, quand il n’est pas sur les flots, il fait comme faisait Stéphen : il fume, contemple ou raconte. Autour de lui, le laboureur s’évertue à produire, et l’échange des denrées leur sert de lien, sans que les meilleures relations mutuelles modifient jamais en rien le contraste bien tranché de leurs goûts et de leurs habitudes. La chose est si bien établie, qu’il n’y a plus de discussions possibles, plus de questions de préséance morale ou intellectuelle ; mais au fond de son âme le pêcheur sent sa supériorité, et la fierté de son rôle est écrite sur son front. C’est l’éternel combattant aux prises avec les grands périls. À l’heure ou le paysan va souper et dormir, il se prépare et s’agite majestueusement. Il revêt un mâle costume, il rassemble une tribu d’associés, il prépare des engins immenses, il met à flot de solides embarcations, tout en donnant des ordres à sa famille comme un homme qui se dit tous les jours à pareille heure qu’il ne rentrera peut-être pas.

Au reste, ici comme à la Canielle, les types sont bien tranchés, et jusqu’au dernier rempart de la falaise le paysan est paysan comme le marin est marin. Celui-ci a la haute taille, les traits accusés, l’air fier et la parole brève. L’autre a le parler gras, la démarche souple, le regard empreint d’obligeance et de ruse. Le petit industriel est du même sang. Le paysan n’est pas beau sur le plus riche sol du monde, il est malheureux et ne vit que de l’étranger qu’il exploite.