Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/256

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Le pêcheur échappe à cette misère par l’association. On voit en lui l’homme d’action, le robuste descendant de la primitive famille des hommes de proie, rebelles à l’esclavage du labeur sédentaire. Il y en a de très-vieux qui sont encore droits comme des mâts ; de père en fils, ni la pioche, ni le boyau, ni les maigres bras de la charrue, n’ont alourdi les mains, rétréci le thorax et voûté les reins. Ils ont le grand nez en bec de harpon, l’œil rond, clair et saillant des plongeurs ailés ; rien du marsouin ni du phoque. Les monstres de l’abîme sont les ennemis ou les vaincus qui fuient devant le pêcheur. Les types de squales, les profils de morue sont ailleurs dans la société humaine ; ici, l’homme de mer est un aigle de mer, et la ressemblance parfois exagérée constitue une laideur qui n’est jamais triviale ni inquiétante.

Un jour que j’avais amené Stéphen à saisir l’esprit et le sens de ces physionomies, dont jusque-là il n’avait pas voulu tenir compte, nous vîmes, à l’heure de la marée basse, un piéton qui venait du côté de Fécamp par le bas de la falaise et qui se dirigeait vers nous. Je n’y fis pas grande attention d’abord ; mais Stéphen, me saisissant le bras :

— Le diable m’emporte, dit-il de sa voix sourde qu’un peu d’émotion semblait éclaircir, si ce n’est pas le Montroger qui vient là ! Je ne l’ai vu qu’une fois, on me l’a montré ; mais je jurerais que je ne me trompe pas.

— Ah ! Dieu soit loué ! m’écriai-je en regardant avec attention, c’est lui ; il vient me trouver ! J’ai obéi en l’évitant, mais je ne peux pas faire davantage ; je ne peux pas me cacher. Venez, Stéphen