Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/288

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m’habillai avec plus de soin et de gravité pour apparaître irréprochablement cérémonieux. J’aurais craint qu’un pli trop négligé de ma cravate ne trahît le bonheur dont j’étais enivré. Je me présentai avec la raideur convenable. J’aurais défié la plus soupçonneuse des Malbois de trouver dans ma tenue et mon regard autre chose que la respectueuse circonspection d’un homme qui se présente pour la première fois.

Montroger était arrivé et s’efforçait de répondre d’un air dégagé aux taquineries de la jeune Emma, qui l’avait déjà entrepris. Il vint me serrer la main et me demander tout haut des nouvelles de Paris. Il joua très-bien son rôle. Il était dans l’état de plénitude décente et calme que lui procurait son genre d’ivresse quotidienne. Je pus l’observer avec surprise dans cette situation que personne ne soupçonnait, et dont j’avais enfin le mot. J’ignore s’il se croyait aviné, mais il se sentait lourd et indécis, et, pour ne point paraître stupide ou distrait, il parlait peu, répondait aux interpellations par des sourires bienveillants ou des airs profonds ; il cherchait les coins pour feuilleter les revues ou la terrasse pour fumer. Vers dix heures, il se trouvait allégé et devenait aussi aimable et aussi expansif que le lui permettaient la mesure de son intelligence et celle d’un parfait savoir-vivre.

Je ne m’approchai de mademoiselle Merquem que pour échanger avec elle le nombre de mots strictement nécessaire à la vraisemblance de notre cérémonial. Je la trouvai encore très-pâle et visiblement fatiguée ; mais je dus renfermer mon inquiétude.

Ma tante, informée de la conduite misérable et des habitudes d’intempérance de Montroger, était bien d’accord avec moi pour ne pas encourager les rêves