Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/48

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vue, m’ait semblé meilleur et plus naïf. Un cœur ouvert à l’engouement, associé à un caractère égal et doux, le goût du bien, une très-belle nature physique, des manières excellentes, que lui fallait-il de plus pour être aimé, et pourquoi cette inhumaine ne l’aimait-elle pas ? Il avait tant d’abandon dans l’âme, que j’en vins bientôt à lui parler de son mal, tout en faisant secrètement l’analyse du mien. Il prit plaisir à me répondre sans détour. Il y avait si longtemps que personne ne l’entretenait plus d’une situation sans espoir et sans issue, qu’il me sut un gré infini de m’intéresser à sa vieille blessure. Un jour vint très-vite où il voulut me raconter l’histoire de son fatal amour. C’est ainsi qu’il l’appelait de bonne foi et sans sourire.

— J’avais dix-sept ans, me dit-il, quand je vis mademoiselle Merquem pour la première fois. Elle en avait alors cinq ou six et sautait sur les genoux de son grand-père l’amiral. Quel homme que ce vieux marin ! Le courage, la droiture, l’équité mêmes ! D’une assez nombreuse famille moissonnée autour de lui par une série de catastrophes trop longues à vous raconter, il ne lui restait que cette enfant, et il l’adorait. Elle était déjà grande pour son âge, mince et assez délicate. La crainte de la perdre le porta naturellement à l’élever avec une indulgence absolue. Elle n’apprit que ce qu’elle voulut apprendre et ne connut jamais l’ombre d’une contrariété. Toute son éducation fut sourire et caresses. Je vous dis ces détails parce qu’ils expliquent peut-être bien des choses. Célie a été dès son enfance exceptionnellement heureuse. Elle ne l’a jamais oublié. Peut-être a-t-elle toujours craint le malheur avec excès.