Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/59

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» Elle avait raison, sans doute, mais un peu tard. Elle en vint à regretter le temps où je vivais de mon malheureux amour, triste, mais pur à ses côtes. Dans ce temps-là, nous causions ensemble des nuits entières. Je la fatiguais de mes puériles redites et de mon chagrin monotone, mais nous nous chérissions, et, depuis que je ne pouvais plus lui rien raconter des brutales émotions de ma vie quotidienne, nous devenions étrangers l’un à l’autre.

» Ma pauvre mère était vive et quelque peu hautaine. Elle me parlait durement, et son caractère s’aigrissait de jour en jour. J’avais sujet de craindre qu’après m’avoir tant aimé, elle ne devînt cruelle envers moi, comme l’amiral Merquem l’avait été envers sa fille chérie. Je n’avais pas la stoïque patience, l’angélique douceur de Célie. Je me soumettais, je restais près de ma mère, mais en frémissant d’impatience, et, quand je faisais un effort pour l’apaiser et lui exprimer mon dévouement, c’était avec une gaucherie brusque qui la blessait davantage.

» Un jour qu’elle m’avait grondé plus que de raison et traité comme un écolier, bien que j’eusse déjà trente ans, je montai à cheval pour m’étourdir. J’allai à travers bois rejoindre quelques amis à un rendez-vous de chasse, et je m’enivrai à fond, comme un homme qui a du chagrin à noyer.

» Quand je revins le soir, j’étais un peu dégrisé, mais pas tout à fait lucide. À moitié repentant et attendri, à moitié colère et farouche, je pressais les flancs de mon cheval, et je jetais au vent des paroles de colère et de douleur. Je me trouvai, sans le savoir, sous les ombrages du parc de la Canielle, longeant les murs et jurant entre mes dents je ne sais quelles