Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/81

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— Je me persuaderais que le bonheur est irréalisable puisque vous ne l’avez pas réalisé ?

— Je ne le méritais peut-être pas.

— Alors, qui donc le méritera ?

— Tous ceux qui auront la volonté de le trouver.

— N’est-ce pas le but de tous ceux qui le cherchent, et tout le monde ne cherche-t-il pas !

— Sans doute, mais tout le monde cherche mal, sans lumière, sans suite ou sans énergie. Ce qu’elle disait d’un air détaché d’elle-même et dans un sens général s’appliquait si bien à ma situation vis-à-vis d’elle, qu’un frisson me passa dans tout le corps, et que je fermai les yeux pour ne pas trahir par mon regard l’impatience qui me dévorait. Elle remarqua toutefois ce frémissement, et me demanda avec une naïveté étonnante, si j’étais soutirant.

— Nullement, repris-je ; je vous écoute.

— Mais j’ai tout dit !

— La consultation est laconique et pourtant vague. Elle se réduit à ceci : que je suis bien heureux de m’ennuyer.

— Eh bien, oui ; vous voulez que je vous plaigne ! Si vous m’avez dit vrai, si vous avez seulement des moments de dégoût qui traversent votre existence, cela prouve qu’à l’habitude vous aimez la vie, et que vous la sentez très-intense en vous, par conséquent très-intéressante pour vous. Quand elle vous pèse un peu, vous boudez la destinée. Tout le monde ne peut pas se permettre ces humeurs-là, tout le monde n’a pas l’énergie de vouloir être toujours content de son sort.

— C’est-à-dire que mon énergie aboutit parfois à me rendre lâche !