Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/91

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pourtant il était né peintre. Il n’avait jamais eu d’autre aptitude, d’autre joie, d’autre ambition, d’autre pensée que la peinture. Il la sentait, il l’exprimait en paroles justes et passionnées, il l’adorait, il s’y plongeait, il en vivait. Il travaillait comme un bœuf, il vendait mal ses toiles, mais il les vendait, et il était content. Il lui fallait si peu pour vivre et il avait une foi si robuste en son avenir ! Pourtant il avait dépassé la quarantaine, et il ne faisait pas le moindre progrès ; mais il ne s’en doutait pas. Il prenait très-bien les observations, il enchérissait sur les critiques, comme un homme soudainement éclairé :

— Vous verrez l’année prochaine ! disait-il avec enthousiasme.

L’année suivante, il revenait chargé d’études où il semblait qu’il eût travaillé avec acharnement à reproduire les mêmes défauts. Andrès, qui l’aimait, le voyait avec chagrin persévérer dans cette voie pénible et vaine. Il n’osait plus être d’une sincérité absolue avec lui, sachant que, le jour où le découragement pénétrerait dans cette âme obstinée, il y aurait péril pour la raison ou pour la vie.

En toute autre circonstance, j’eusse été assez indiffèrent à la rencontre de cet homme à la fois doux et maussade, insouciant dans ses habitudes, absolu dans ses idées. Je ne lui trouvais aucun charme, et ses manières brusques et vulgaires me plaisaient médiocrement ; mais il m’apparaissait là comme un envoyé du ciel, il allait servir de but à mes promenades et de manteau à mes explorations, car je voyais bien, à son costume débraillé et à son air d’aisance, qu’il était installé là pour tout le reste de la saison. Aussi je courus lui serrer la main avec un empressement