Page:Sand - Malgretout.djvu/130

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Abel devina les inquiétudes que je n’osais lui exprimer. Ce qui devait me rassurer selon lui, c’est que précisément toute la population s’était entassée dès le matin à Charleville et à Mézières (ces deux villes ne sont séparées que par la Meuse). Il était venu seul dans un wagon, les autres étaient vides ou ne contenaient que des étrangers en route pour la Belgique, lesquels ne songeaient point à s’enquérir de sa personne. Il avait caché sous un pardessus de voyage son habit noir et sa cravate blanche. Il avait enfoncé sur ses yeux un chapeau mou ; aucun employé de la petite gare de Nouzon ne l’avait remarqué. Il avait erré un instant pour trouver la villa du pasteur, ne voulant se renseigner auprès de personne. Il m’avait aperçue, traversant la prairie avec Sarah. Il s’était glissé par une ruelle déserte, puis il s’était dirigé vers moi à vol d’oiseau par le petit bois. Enfin il croyait avoir fait une chose très-prudente et très-mystérieuse : il ne se disait pas que, si Sarah n’eût point été endormie, elle eût été un témoin impossible à faire taire.

Mais, tout en sentant le danger auquel il m’exposait, je voyais dans ses yeux tant de tendresse et de joie, que je ne pus me résoudre à le gronder ; j’étais si heureuse moi-même, et nous avions tant d’autres choses à nous dire, au lieu de nous préoccuper de l’opinion des autres ! Nouville lui avait répété mes paroles, qui avaient changé ses résolutions. Puisque je l’aimais, il ne voulait plus s’éloi-