Page:Sand - Malgretout.djvu/196

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qu’il le savait et le déclarait avec la sincérité qu’il porte en toutes choses. Je le savais donc, moi, et je n’ai pas douté un instant. Vous avez fait une imprudence effroyable en croyant prendre une précaution. Avec une nature comme la sienne, il ne faut pas remettre au lendemain. Vous étiez libre, votre père eût consenti avec joie ; mais vous n’aimiez pas assez, je l’ai bien vu, et vous n’aviez pas assez d’expérience pour distinguer la vérité mâle de la flatterie banale. Pourtant vous m’aviez dit : Je sens que je l’aime, et il avait repris courage. Il vous adorait, il comptait rester non loin de vous et vous voir abréger le temps de son épreuve. La mort tragique de votre beau-frère vous a trop bouleversée, et vous avez craint l’opinion d’une manière exagérée, j’oserai dire par trop anglaise. J’ai peu compris, je l’avoue, l’ordre que vous donniez à Abel de ne pas reparaître chez vous avant la fin de l’année d’épreuve. Il est antipathique à votre capricieuse sœur, et vous semblez faire passer cette sœur avant lui dans vos affections. Il a été, non pas blessé, mais découragé par votre arrêt. Il est parti pour gagner à tout événement, disait-il, beaucoup de roubles, et il ajoutait, ce qui est bien dans son caractère chevaleresque : « Si, comme je le crains, elle ne m’aime guère et me refuse, je saurai bien lui refaire une existence libre sans qu’elle s’en doute. Il y a toujours moyen, quand on veut, de faire une bonne action. »