Page:Sand - Malgretout.djvu/202

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suaves figures et les formes les plus élégantes de la statuaire grecque et de la peinture renaissance. J’avais ouï dire à ma mère, quand j’étais enfant, que je ressemblais à certaines de ces figures ; maintenant je les étudiais, je me regardais de face et de profil dans deux miroirs. Il me semblait par moments que j’étais charmante, mais tout aussitôt je doutais. Je n’avais jamais cru aux compliments, je n’avais pas désiré plaire, j’avais perdu la conscience de moi-même. Je me rappelais une gouvernante de cinquante ans que nous avions eue, une excellente personne, modèle de laideur, qui avait la folie de se croire séduisante et qui rougissait de plaisir quand la railleuse Adda lui disait qu’elle était encore très-bien.

— On ne se voit pas soi-même, me disais-je ; je suis peut-être une créature insignifiante comme j’ai aspiré à l’être ; pourtant Abel doit s’y connaître, et puisqu’il m’a dit que j’étais un ange…

Quand je fus reposée, je devins plus sévère envers moi-même, et je m’interdis ces enfantines préoccupations. Abel avait autre chose pour lui qu’un extérieur séduisant ; il avait une grande âme, généreuse et tendre, et ce qui m’avait touchée, c’était moins son génie que ses actes de courage et de dévouement racontés par Nouville. C’est aussi pour mon dévouement qu’il m’avait aimée. Si je voulais qu’il m’aimât exclusivement et toujours, c’est par la beauté de mon âme que je devais le mériter.