Page:Sand - Malgretout.djvu/212

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mangea et but comme un homme. C’était une femme grande, assez mince, mais fortement constituée, et qui, menant la vie d’un garçon, avait une santé de fer et l’appétit d’un chasseur.

Comme je lui en faisais mon compliment :

— On a la santé que l’on veut avoir, répondit-elle : il ne s’agit que de savoir approprier son régime à son organisation. Je vois que vous êtes sobre. C’est bien vu, puisque vous avez une vie tranquille et réglée. Vous ne dépensez pas vos forces, vous n’avez pas besoin de combattre pour les empêcher de se perdre. Vous en aurez toujours assez pour ce que vous comptez en faire. Moi, c’est autre chose. Je vous ai promis de vous parler de moi, je suis venue pour cela. Je vais m’exécuter. Elle alluma un cigare.

— Je ne vous demande pas la permission, dit-elle ; je sais que votre père fume beaucoup et que cela n’incommode ni vous ni votre sœur. Puis elle s’étendit sur son waterproof, dans une attitude fort gracieuse qui découvrait son pied espagnol mignon et cambré dans sa botte fine et souple. Elle ôta son chapeau et répandit sur ses épaules sa riche chevelure d’or rouge. Son œil pâle, qu’un cercle noir artificiel faisait paraître énorme, prit la fixité d’un œil félin, et, sûre de sa beauté bien arrangée, elle parla ainsi :

— Je suis la fille d’une très-grande dame. Le comte d’Ortosa, époux de ma mère, était vieux et