Page:Sand - Malgretout.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

par la retenue de mes habitudes d’esprit, j’aurais subi la domination qu’elle voulait exercer sur moi. Ma pauvre Adda, inquiète et troublée par un malheureux essai de la vie, n’avait pas dû résister au vertige que produisait cette femme caressante et tyrannique : pourrais-je conjurer le fléau ?

Là commencèrent mes perplexités. Adda aimait-elle Abel ? La révélation de mademoiselle d’Ortosa était-elle une rêverie ou une perfidie ? Je ne la jugeai point perfide : mais sa pénétration me paraissait noyée dans de telles fantaisies, que je pouvais bien ne pas m’alarmer sérieusement. Que faire pourtant, si elle avait deviné juste ? Je cherchai en vain une solution qui me fût favorable, je n’en trouvai pas. Abonder dans le sens de mademoiselle d’Ortosa, éveiller l’ambition dans l’âme de ma sœur, la pousser à un mariage d’éclat, plus malheureux peut-être que le premier, pour qu’elle renonçât à me disputer mon fiancé, voilà ce que je ne pouvais admettre ; mais ce que je ne pouvais admettre davantage, c’est qu’elle épousât l’homme dont la parole avait tué son mari et l’avait faite veuve, l’artiste dont elle méprisait la condition, le viveur exalté qu’on ne pouvait aimer qu’avec une abnégation dont Adda était absolument incapable. D’ailleurs, en supposant que tous ces obstacles fussent vaincus, il eût fallu encore qu’Abel répondit à l’affection de ma sœur, et cela me semblait plus invraisemblable que tout le reste.