Page:Sand - Malgretout.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

encore mieux : j’aime à incendier les existences et à m’enivrer de la fumée de la coupe sans la porter à mes lèvres. Je n’ai pas toujours été ainsi, je vous l’ai dit, j’ai eu de la candeur et de la bonne foi ; j’ai été accusée avant d’être coupable : à présent, Je le suis sans remords. Pourquoi le désir s’acharne-t-il après l’impossible ? Puisque c’est une loi fatale, puisque les êtres simples et purs comme vous n’inspirent que des affections douces et n’empêchent pas les ardeurs violentes qui font la puissance des coquettes, la femme qui choisit votre lot ne recueillera que ce qu’elle a voulu semer ; qu’elle ne se plaigne donc pas ! Il ne tenait qu’à elle de goûter du grand règne ; maudire celles qui s’en sont emparées est puéril et ridicule.

» Vous me connaissez absolument désormais. Je suis entrée dans l’âge où on joue avec le feu, et où ce jeu-là est une passion. Jamais encore je ne m’étais brûlée aussi vivement qu’avec Abel. J’avais eu affaire à des êtres tièdes ou usés ; cet artiste est un volcan, il a de la vraie puissance, il ne dissimule rien, il ne fait pas de madrigaux, il est brutal. Il vous dit qu’il rougit de vous aimer. Il va même jusqu’à vous dire qu’il vous désire et rien de plus ; mais ce désir n’est pas humiliant. Il est trop intense pour que l’être tout entier ne s’y absorbe pas, et pour que tout n’y soit pas sacrifié.

» Voilà où Abel en est depuis deux jours. Je n’ai pas eu besoin de nouvel artifice avec lui ; il m’a