Page:Sand - Malgretout.djvu/289

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suffi de lui faire voir ce qui est, l’état de mon cerveau qui refuse le bonheur à cette âme torturée. Il en est venu à me comprendre, à me plaindre, à m’admirer peut-être, tout en me détestant et me maudissant aux heures de paroxysme… Enfin hier, j’ai senti que c’était assez, parce que ma force s’épuisait, et j’ai résolu de vous rendre votre fiancé. Je suis partie ce matin à son insu, et, ne sachant pas trouver votre famille de retour, je voulais vous dire que je fuis. Je retourne à Paris, c’est à vous de retenir Abel. Dans l’exaltation où je le laisse, ma fuite est un aveu trop excitant pour qu’il ne veuille pas me suivre. Ce serait là un embarras et un péril que je ne veux pas pousser plus loin ; écrivez-lui, hâtez votre mariage avec lui. Je sais qu’il veut se marier, bien qu’il ne vous nomme pas. Il veut en finir avec les passions. Il vous est fort attaché, j’en suis certaine, car votre nom le fait pâlir. Il vous respecte, il tient à vous ; vous le rendrez fort heureux, si vous pouvez le fixer. Ceci est votre affaire et non la mienne, j’ai dit. Adieu, je prends le convoi sur l’autre rive, et je pars.

Je la saluai sans lui dire un mot ; elle me faisait horreur, mais je trouvais indigne de moi de lui exprimer mon dégoût. Je ne la regardai pas traverser la rivière, je retournai auprès des enfants, je fermai la fenêtre, l’air fraîchissait. Je préparai la potion de Sarah et la lui fis prendre ; je m’assis sur le tapis pour faire jouer le baby et puis je repris la petite