Page:Sand - Malgretout.djvu/291

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moi, lui donner ma vie pour le dédommager de n’avoir pas été l’amant d’une autre ! Ah ! c’était trop, en vérité ! Je ne pouvais ni m’informer de la vérité, ni la tenir pour non avenue. L’image de cette vierge impudique se plaçait à jamais entre Abel et moi. Abel était l’esclave de ses passions. Si c’était un crime, je ne voulais pas le savoir, et je ne pouvais apprécier le degré de résistance qu’il était capable de leur opposer ; mais c’était un irréparable malheur, et j’avais été folle de croire que je pourrais l’en préserver. Il avait eu pour moi un éclair de cette passion en voulant m’enlever. Au lieu d’en être touchée, j’en avais été blessée ; je n’étais pas une d’Ortosa, moi ! je ne pouvais répondre à ses accès de fièvre que par la douceur et la plainte. Il se soumettait, il ne se fâchait pas trop contre ma résistance, parce qu’il était bon ; il appréciait ma pudeur, il l’estimait, la respectait, parce qu’il trouvait du charme à la simplicité des enfants ; mais tout cela ne suffisait pas à la consommation d’une vitalité comme la sienne. Cette journée d’extase tendre qu’il avait passée à me regarder sans oser me toucher, et dont je lui avais été si reconnaissante, n’avait pas mis le moindre calmant sur sa fièvre chronique. Une heure après, rencontrant cette fille hardie qu’il comparait à du vin de Champagne où l’on aurait mis du vitriol, il m’avait oubliée ; ou plutôt, non : il avait donné un autre aliment aux violences qu’il s’était interdites avec