Page:Sand - Malgretout.djvu/293

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pris des soins pour cacher nos relations. Il le pouvait encore ; mais, quand je serais sa femme, chacune de ses défaillances ne serait-elle pas un outrage public pour celle qui porterait son nom ? Est-ce que la fidélité, même apparente, lui serait possible ? Ne m’avait-il pas dit aussi : « Vous voyagerez avec moi, s’il faut que je voyage encore. Je ne veux jamais me séparer de vous ! » Il me faudrait donc m’attacher à ses pas comme un gardien jaloux, subir le ridicule d’une femme qui surveille son mari, ne pas le quitter une heure sans rêver la honte de l’attendre indéfiniment ? — Non, tout cela était au-dessus de mes forces, et je marchai toute la nuit dans ma chambre en me disant sans colère, mais avec une immense douleur : « Je ne peux pas ! » Et au matin je me jetai accablée sur mon lit en m’écriant : « Tout est perdu pour moi, fors l’honneur. »

Je fus très-malade le jour suivant, et je fus forcée de garder le lit. On crut que j’étais reprise de cette névralgie qui me servait à tout expliquer. Le lendemain, je réussis à me lever. Je ne voulais pas qu’Abel vînt faire sa demande, je ne voulais pas lui causer l’humiliation d’un refus ; mais quel moyen de rompre sans retour et d’éviter des luttes pénibles ? Je craignais de le voir, j’avais trop éprouvé son ascendant sur moi. Lui demander compte de sa conduite soulevait en moi une répugnance invincible. Je ne voulais pas le voir avili devant moi et