Page:Sand - Malgretout.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour coucher sa fille et m’assurer que la nourrice soignait bien le petit Henry.

Quand je redescendis au salon, mon père y était avec son hôte et sa fille. Adda n’avait point songé à commander le thé. Je dus m’en occuper pendant qu’elle continuait à causer avec animation. Je craignais un retour de la fièvre de lait ; je le dis tout bas à mon père, qui lui trouva aussi les mains chaudes et l’œil trop brillant. Il exigea qu’elle se retirât, et elle céda sans paraître contrariée ; mais, au moment où je lui offrais mon bras pour monter l’escalier, elle me repoussa, me retira brusquement des mains le bougeoir que je tenais, et me dit :

— Va donc chanter ! M. Abel, à qui mon père a vanté ton talent, meurt d’envie de t’entendre ! C’était la seconde fois qu’à propos de musique elle me témoignait du dépit. Plus jeune et cent fois plus jolie que moi, plus spirituelle et plus animée dans la conversation, elle n’avait jamais pu avoir d’autre motif de jalousie. Elle avait découvert qu’après s’être posé en connaisseur, son mari ne comprenait rien à la musique et ne l’aimait pas du tout. Elle avait donc oublié de m’en vouloir à propos de ce mince avantage que j’avais sur elle, et dont j’avais toujours évité de me prévaloir. La brusquerie de son geste et l’amertume de son accent me rappelèrent la défense de chanter qu’elle m’avait faite en une autre circonstance. J’en fus frappée et effrayée ; mais devais-je m’arrêter à cet enfantil-