Page:Sand - Malgretout.djvu/58

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lage ? devais-je le comparer au premier ? Il s’agissait alors d’un homme qu’elle aimait, qu’elle voulait et pouvait épouser.

Quand je retournai servir le thé à mon père et le café à son hôte, je vis que mon père avait en effet trahi l’innocent secret de mes innocentes élucubrations musicales. Lui aussi prétendait que le chant de la Demoiselle était une merveille, et, comme il était excellent musicien, il s’était mis au piano et jouait à M. Abel plusieurs de mes chansonnettes qu’il avait transcrites et conservées sans me rien dire. Abel s’extasiait au point de me paraître ridicule. Je n’avais jamais cru posséder autre chose qu’un talent d’agrément, et c’est de très-bonne foi que je le priai de ne pas me railler davantage.

— Railler, moi ! s’écria-t-il en me regardant avec surprise. Pour quel indigne faquin me prenez-vous donc ?

— Ne vous fâchez pas, lui dit mon père, elle est grande artiste sans le savoir, et sa modestie est parfaitement sincère. Attendez ! je vais la trahir tout à fait. J’ai un cahier qui contient des choses charmantes oubliées d’elle et saisies par moi au passage. Je vais le chercher.

Il sortit, et Abel, par un mouvement insensé dont j’ignore comment je ne me fâchai pas, mit un genou en terre devant moi.

— Je me suis juré à moi-même, dit-il avec feu, depuis le jour où j’ai entendu parler de miss Owen,