Page:Sand - Malgretout.djvu/63

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porta à ses lèvres et l’y tint un instant qui me parut un siècle, car je me sentis épouvantée de l’abandon subit de ma volonté.

— Écoutez encore, reprit-il, j’ai parlé de vénération profonde, de dévouement fraternel, c’est ce que j’éprouvais avant de vous avoir vue ; mais ce n’est plus assez pour ce que vous m’inspirez à présent. Vous êtes belle comme un ange et artiste plus inspirée que moi. Ma vénération est devenue enthousiaste, mon dévouement est maintenant passionné…

— Taisez-vous, lui dis-je, ces paroles-là sont de trop et gâtent celles d’auparavant. Je ne suis, moi, ni passionnée ni enthousiaste. On vous a très-bien dépeint mon esprit calme et mon imagination glacée. Mon sacrifice ne me coûte pas, et je serais blessée d’inspirer de la pitié. Parlez-moi donc comme il convient à mon caractère et à ma position, ou je penserai que vous voulez mettre mon bon sens à l’épreuve, et que vos éloges de tout à l’heure cachaient une ironie cruelle et insultante.

— Si vous pensez cela, s’écria-t-il avec une énergie indignée, je retire mes premières paroles, car vous auriez été grande par bêtise, généreuse par nonchalance, dévouée par faiblesse. Non, cela n’est pas, vous êtes ce que vous me paraissez, et je vous supplie de ne pas jeter, sur l’explosion la plus ardente et la plus complète que mon âme ait jamais eue, l’avalanche de neige du convenu !