Page:Sand - Malgretout.djvu/64

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Il n’en put dire davantage, et je ne pus lui répondre. Mon père rentrait et m’amenait au piano pour me faire chanter ma musique. Jamais je n’avais été moins disposée à faire exhibition de mon petit talent. J’étais dans un état d’émotion inconcevable, j’éprouvais surtout de la honte. L’audace de la déclaration qui venait de m’être faite me semblait une offense que j’avais dû mériter par trop de confiance et de laisser aller. Je voulais bien faire de la musique pour paraître n’attacher aucune importance à l’exagération de l’artiste, mais je ne pouvais pas. Ma voix ne voulait pas sortir de mon gosier et je sentais un vertige comme si j’eusse respiré un parfum trop fort pour moi.

Pourtant mon père insistait, et, contre mon attente craintive, Abel n’insistait plus du tout ; il était comme absorbé, et je ne sais s’il m’écoutait. Je crois bien que le démon s’en mêla, car je fus tout à coup prise du besoin de bien exprimer ma pensée musicale et de ramener à moi l’attention que j’eusse dû détourner. Je chantai comme je crois n’avoir jamais su chanter avant ce jour-là. Ma voix se dégagea, et, bien que je ne voulusse pas la donner tout entière pour ne pas éveiller Adda ou les enfants, elle sortit pure, veloutée et attendrie au point que je ne la reconnaissais plus et croyais entendre quelqu’un qui chantait à ma place.

Mon père fut saisi par ce développement subit de mes facultés, et, voyant qu’Abel ne bougeait