Page:Sand - Malgretout.djvu/68

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à celle de ces gens qui ne travaillent que pour notre plaisir. Vous tiriez votre enthousiasme du besoin de faire triompher la vérité dans les questions d’honneur, comme dans les questions de vie et de mort. Pour un acteur, un chanteur, un virtuose quelconque, la volonté est de briller, le but de se faire applaudir, et rien de plus.

— Vous m’étonnez de parler ainsi, reprit mon père, vous, ma chère, qui êtes née artiste et qui tenez de l’artiste, aujourd’hui éteint, qui a vibré fortement et longtemps en moi. La vérité est dans tout ; elle respire dans l’art comme dans l’histoire, dans le drame comme dans la discussion, dans le beau comme dans l’utile. On pourrait dire même qu’elle est l’utile du beau et le beau de l’utile. La forme qu’elle revêt peut la rendre plus ou moins évidente pour le vulgaire ; mais au fond le vrai est toujours lui-même, qu’il s’exprime en sons ou en chiffres, qu’il s’imprime sur la toile, le marbre ou le papier, qu’il s’exhale d’un instrument, d’un monument ou de la parole humaine ; ce qui est vraiment beau est toujours bon, ce qui est vraiment bon est toujours beau dans l’ordre des idées. Comment pouvez-vous dire que l’artiste est coupable d’égoïsme en se dévouant à nous plaire ? Il nous verse des trésors, il élève nos âmes au niveau de la sienne, il nous fait entrer dans la région du sublime, et nous lui reprocherions d’être enivré de nos transports, de nos pleurs, de nos acclama-