Page:Sand - Malgretout.djvu/75

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rose trop vif et n’annonçait pas un homme sobre ; ses sourcils, trop noirs, se rejoignaient trop. Il y avait de l’aigle dans son os frontal ; mais sa bouche, d’une douceur enfantine, ne répondait pas assez à la fierté des autres lignes. J’avais cru son œil pénétrant, il n’était que curieux ; sa vivacité était celle d’un esprit gambadeur qui n’attend pas la réponse et qui doit se tromper sans cesse. En somme, on pouvait dire qu’il était charmant, et que nulle physionomie n’était plus agréable ; mais il n’était pas beau, et il se portait trop bien pour devenir l’idéal d’une femme difficile.

Je me trompais sur sa santé, il ne se portait pas toujours bien. Il avait fait et faisait encore des excès de tout genre qui portaient de fréquents ébranlements dans cette nature robuste et richement douée. Et abusait de ses forces, et, comme la conversation s’engagea sur les diverses particularités des tempéraments d’artiste, il déclara qu’il ne fallait pas être plus avare de sa vitalité que de son argent, et qu’un artiste qui regardait à ces choses était un fils indigne de la Muse.

— Pour qui donc me ménagerais-je ? dit-il en s’animant ; je suis seul au monde ! Vous ne savez pas mon histoire, n’est-ce pas ? c’est que je n’en ai pas. Un homme sans parents, sans nom, sans liens dans la vie, n’existe pour ainsi dire pas. Je suis un enfant trouvé. On m’a donné le nom d’Abel ; on eût pu me donner celui de Caïn ! Je n’aurais pas eu