Page:Sand - Malgretout.djvu/78

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rai le soleil en face, tout près, tout en feu, comme je crois quelquefois le voir dans des accès de vertige, et alors je tomberai sur un chemin ou sur un théâtre, ou, comme hier soir, sur un lit moelleux, et je dormirai ;… mais je ne me réveillerai pas. Voilà ma fin et j’y cours, car je voudrais être encore assez jeune pour en sentir vivement le transport et le martyre.

Cette étrange théorie, débitée avec un feu que je ne puis vous rendre, me surprit et me choqua. Mon père l’écoutait avec un sourire de sympathie, comme s’il l’eût admirée. Je ne pus cacher ce que j’éprouvais.

— Est-il possible, dis-je à mon père, que vous approuviez de tels blasphèmes ?

— Blasphèmes ! répéta l’artiste avec étonnement. Ah ! voyons, voyons, miss Owen, expliquez-vous Je veux savoir en quoi je vous scandalise.

— Vous m’indignez, lui dis-je, et pourtant je crois que vous plaisantez, comme toujours !

— Oui, vous vous obstinez à me prendre pour un plaisant. Je ne croyais pourtant pas l’être.

— Ne vous fâchez pas, monsieur Abel. Vous plaidez, c’est pour être jugé. Si vous parlez sérieusement, vous parlez comme un impie. Si vous raillez, vous vous jouez des choses les plus saintes. La vie, le génie, la gloire, sont des dons divins que les hommes confirment et qu’il ne sied à personne de dédaigner et de gaspiller. Je ne sais pas bien, moi,