Page:Sand - Malgretout.djvu/87

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réelle et pratique. À force de vouloir trop l’assujettir à l’habitude, à la prudence et à la règle, tu nous traites tous comme notre petite Sarah : tu voudrais nous mettre dans du coton ; mais songe donc que le coton étouffe. Laisse vivre un peu chacun de nous de sa vie naturelle, ne contrarie pas tant les instincts et ne t’alarme pas de tout ce qui échappe à la théorie ou à la méthode. Nous ne voyons presque personne ici. C’est fort triste, et, quant à moi, dès que je serai remise, je veux rendre les visites qu’on nous a faites et amener des personnes vivantes dans cette abominable forêt des Ardennes, où bientôt nous vivrons avec les loups. Je ne comprends pas l’usage que tu fais de ta fortune ; tu ne dépenses pas le quart de ton revenu. Est-ce que tu thésaurises, ou si c’est que tu deviens avare ?

Les reproches d’Adda me prouvèrent bien qu’elle n’avait rien entendu de la diatribe d’Abel contre son mari, et qu’elle ne se doutait pas des sacrifices que j’avais dû faire. Je m’en réjouis et lui promis de rendre Malgrétout plus animé quand elle me ferait le plaisir d’y être.

Je ne pris pas au sérieux la crainte ou l’espérance qu’elle avait de voir revenir M. Abel, mais je m’étonnai bientôt de ne pas voir revenir mon père. Il était si régulier dans ses habitudes, que, vers quatre heures de l’après-midi, je pris un peu d’inquiétude. J’allais lui envoyer Giron avec la barque