Page:Sand - Malgretout.djvu/94

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les sépare de l’inconnu. Si ce garçon-là avait ce qu’on appelle le sens commun, il perdrait son empire sur votre âme. Moi qui suis enfermé dans le cercle de la sagesse, je ne vous en ferai jamais sortir, tandis que lui… Je sais et je vois que vous sentez l’art, miss Owen ! Eh bien, quand il voudra, il vous fera penser le contraire de ce que vous croyez être la vérité musicale.

Malgré moi, j’attachais un sens moral aux paroles de Nouville, et je me sentis un peu effrayée de sa prédiction. Elle s’accomplissait déjà, je le niais en vain.

Adda, qui avait besoin de causer et de s’exciter, cassa brusquement les vitres.

— Ce que vous affirmez là est effrayant, dit-elle à Nouville. Si par hasard, avec cette toute-puissance musicale, M. Abel avait le don de bouleverser et de gouverner le cœur et l’esprit de ceux qui l’écoutent ! Je suis bien heureuse, moi, de ne pas avoir le sens de l’art et de ne pas me douter des grandes racines qu’il peut plonger dans la vie réelle. Je me borne à trouver M. Abel fort aimable ; mais, pour l’accepter comme redoutable, il me faudrait la vile traduction de la parole humaine, et non une combinaison de sons qui est pour moi lettre close.

— On te provoque, mon cher, dit Nouville à son ami. Réponds, montre ton esprit, si tu en as pour le moment.

— Est-ce qu’il n’en a pas toujours ? reprit Adda.