Page:Sand - Malgretout.djvu/96

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qu’Adda, qui nous suivait, donnant le bras à Nouville, dut ne rien perdre de cette réflexion désobligeante. Elle ne s’en montra pourtant pas offensée. Elle avait sur elle-même un empire dont j’ai été longtemps à soupçonner l’étendue. Sa figure ne fît pas un pli, le sourire qu’elle avait gardé à table devant la réponse dure et presque brutale de l’artiste n’avait pas quitté ses lèvres lorsqu’elle fut rentrée au salon. Elle avait juré dans son cœur de se venger de lui.

On causa encore un peu, et, comme elle continuait à se vanter avec affectation de son ignorance musicale, Abel prit son violon en lui demandant si ce n’était pas l’heure où l’on couchait les enfants terribles.

— Oui, c’est l’heure, dit-elle ; mais je ne serais pas une enfant terrible, si je me soumettais à la règle. Je ne me coucherai pas ce soir avant minuit, je vous en préviens.

— Je n’en crois rien, reprit Abel. Dès que vous n’aurez plus personne à taquiner, vous vous endormirez, et je vais faire un tour de jardin.

— J’attendrai votre retour, dit-elle, pour voir l’effet du clair de lune sur votre cerveau.

Tout cela était dit d’un ton si enjoué, et le beau sourire d’Abel avait tant de douceur, celui d’Adda tant de finesse, qu’on ne pouvait soupçonner l’âpreté du dépit de ma sœur, le secret dédain de l’artiste. Mon père, impatient d’entendre la musique