Page:Sand - Marianne, Holt, 1893.djvu/11

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Ainsi, tandis que la demoiselle de campagne commençait en quelque sorte la vie d’isolement et de rêverie, cherchant peut-être dans l’avenir une solution qu’elle ne trouvait pas encore, le bourgeois, déjà mûr, qui était son parrain, son voisin et l’ami de son enfance, prétendait rompre avec le passé et ne plus compter que sur le repos et l’oubli dans une retraite selon ses goûts.

Pierre André avait cependant eu de l’ambition tout comme un autre. Intelligent et studieux, il s’était senti propre à tout dans sa jeunesse. Sa mère avait été fière de ses premières études et ne s’était pas gênée pour croire qu’il y avait en lui l’étoffe d’un grand homme. Le père André, pauvre et avare, avait consenti à grand’peine à ce qu’il fît son droit à Paris ; mais il lui avait ménagé si bien les subsides, que l’enfant avait durement vécu de privations, sans voir d’issue à cette cruelle existence. Il causait à merveille, écrivait encore mieux, mais se sentait affligé d’une timidité qui ne lui permettrait jamais de se produire en public et de se manifester en dehors de l’intimité. Il ne lui fallait donc pas songer à être avocat, et, quant à devenir avoué ou notaire, outre qu’il avait horreur de la chicane, il savait bien que son père ne se résignerait jamais à aliéner sa petite propriété territoriale pour lui acheter une étude. Eût-il voulu prendre ce parti, héroïque, Pierre n’y eût pas consenti. Il ne se sentait pas l’aptitude spéciale qui eût pu assurer l’avenir de ses parents. Il ne fit donc son droit que par acquit de conscience et se livra à d’autres études, mais sans en approfondir aucune au point de vue d’y trouver des ressources. Il aimait les sciences naturelles, il s’en appropria les principaux éléments sans autre projet que celui d’ouvrir son esprit aux puissances de compréhension et aux facultés d’examen qui étaient en lui. Il eût pu écrire, il écrivit beaucoup et ne publia rien. Il n’osa pas, craignant d’être médiocre. Enfin il rencontra un emploi, celui de précepteur de deux jeunes gens de bonne famille qu’il fut chargé d’accompagner dans leurs voyages.