Page:Sand - Marianne, Holt, 1893.djvu/44

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— Oui, mon très-cher, répéta-t-il croyant, à voir l’air stupéfait d’André, qu’il ne le reconnaissait pas, c’est moi, Philippe…

Pierre l’interrompit.

— Je vous reconnais très-bien, lui dit-il en baissant la voix, mais il est inutile de crier votre nom sur les toits ; vous venez ici pour une affaire qui ne réussira pas sans quelque prudence. Apprenez, mon jeune Parisien, qu’en province la première condition pour échouer, c’est de faire connaître ses projets. Voyons, vous allez venir chez moi sans traverser la ville. Prenons cette ruelle qui est déjà moitié campagne, et dans une petite heure de marche nous serons arrivés pour le dîner.

— Une petite heure de marche avec ma valise au bout du bras ? dit Philippe étonné de la proposition.

— Est-ce qu’elle est lourde ? reprit Pierre en la soulevant ; eh non ! ce n’est rien.

— Mais j’ai encore autre chose. J’ai tout un attirail de peintre, car je compte faire ici quelques études.

— Alors je vais dire à l’hôtel qu’on vous envoie tout cela chez moi avec un homme et une brouette ; moi, je n’ai aucune espèce de voiture à vous offrir, je me sers de mes jambes et ne m’en trouve pas plus mal.

— Je sais, parbleu, bien me servir des miennes, un paysagiste ! et je sais aussi porter mon attirail sur mon dos quand il est bien outillé. Vous verrez ça demain, mais pour aujourd’hui je préfère l’homme et la brouette.

— Attendez-moi là, dit Pierre.

Et il entra pour donner les ordres nécessaires. Au bout de cinq minutes, il vint rejoindre son hôte, et ils se mirent en marche. La première parole de Philippe étonna passablement André.

— Est-ce que vous avez beaucoup de jolies femmes dans ce pays-ci ?

— Ouvrez les yeux et vous verrez, répondit Pierre en riant.

— J’ai l’habitude de les ouvrir, reprit le jeune peintre, c’est mon état, et je viens de voir passer une drôle de