Page:Sand - Marianne, Holt, 1893.djvu/66

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qu’il n’avait pu retenir,… Philippe ne les eût pas versées.

— Peut-être que sa timidité est la conséquence forcée de la mienne, se dit encore Marianne. Jamais je n’ai su dire un mot, ni même avoir un regard pour lui faire deviner que je voudrais son amour. Je suis trop fière, il me croit indifférente ou stupide. Est-ce qu’il m’aimerait franchement si j’étais coquette et un peu hardie ? Qui sait ?

Pierre reprenait de son côté le chemin de Dolmor sans songer davantage à surveiller Philippe ; ses larmes coulaient lentement et sans qu’il s’en aperçût.

— Ma destinée s’accomplit, se disait-il ; voilà que, pour couronner l’histoire de mes aberrations, j’aime encore une fois l’impossible. Tant que Marianne a été libre et m’a paru indifférente, je n’ai pas songé à elle. Le jour où un rival qui a toutes les chances contre moi, se présente, je me sens jaloux et désespéré. Je suis vraiment fou, et avec cela idiot, car c’est au moment où je devrais parler que je sens plus que jamais que demander l’amour m’est impossible.

Il trouva sa mère levée et préparant le déjeuner. Il aimait mieux se plaindre de Marianne que de n’en pas parler. Il raconta l’entrevue et ajouta :

— Marianne est coquette, je t’assure, et cruellement railleuse. Elle voulait m’amener à lui dire que j’étais amoureux d’elle ; elle avait besoin de ce triomphe avant de se venger. Ce soir ou demain elle eût ri de ma sottise avec son futur conjoint.

Madame André essaya en vain de le dissuader. Elle s’avança même jusqu’à jurer que la petite voisine n’avait jamais aimé que lui, et que c’était lui, lui seul qu’elle attendait depuis cinq ou six ans ; mais, comme elle ne pouvait affirmer qu’elle en eût acquis la preuve dans les confidences de Marianne, Pierre repoussa l’espérance comme un leurre des plus dangereux. Il ne voulut pas avouer que son cœur s’était pris, et sa mère impatientée finit par lui dire :