Page:Sand - Marianne, Holt, 1893.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rêves et qui est vierge de cet amour-là. Accepte-le comme ton bien, car tu seras tout pour lui, le passé, le présent et l’avenir.

Il faisait nuit quand Pierre et sa mère quittèrent Validat. Madame André voulut marcher un peu, et puis elle monta dans la patache en les laissant la suivre, car elle sentait qu’ils avaient besoin de se parler seul à seul, et Marianne, qui avait la voiture pour revenir chez elle, marcha jusqu’à Dolmor au bras de son parrain, qu’elle s’était remise à tutoyer et à appeler Pierre.

— Quelle nuit ! lui disait-il en regardant avec elle le ciel étoilé. Quel air vivifiant et quels parfums de plantes ! Je crois que ce soir la terre et même les pierres sentent bon ! Jamais je n’ai vu des étoiles si pures, et il me semble que nous traversons un pays de fées, qui s’est fait là autour de nous, à notre insu, depuis ce matin. Ah ! si j’avais été heureux comme cela dans ma première jeunesse, je serais devenu un grand poëte et un grand peintre.

— Dieu merci, répondit Marianne, tu n’es rien devenu de tout cela, car tu me trouverais trop au-dessous de toi, moi qui ne sais rien de ces belles choses ; mais il me semble que, n’étant pas capable de dire pourquoi j’aime tant la nature, je l’aime davantage. M. Philippe me faisait horreur aujourd’hui quand il trouvait des mots d’une pédanterie bizarre pour qualifier tout ce qu’il voyait. Non, il n’y a pas de mots pour dire, et je crois que plus on dit, moins on voit. La nature, vois-tu, Pierre, c’est comme l’amour. C’est là, dans le cœur, et il ne faut pas trop en parler, car on rapetisse toujours ce qu’on veut décrire. Moi, quand je rêve, je ne sais pas ce qu’il y a dans moi, je ne vois que ce qui est entre le ciel et moi. Moi, d’ailleurs, je ne compte pas ; si je pense à toi, il me semble que je suis toi et que je n’existe plus. Et voilà pour moi le bonheur, la poésie, la science.

Après que Marianne fut remontée dans sa patache