Page:Sand - Mauprat.djvu/138

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que Mlle  de Mauprat ait été seulement l’espace d’une seconde à la Roche-Mauprat…

— Et pourquoi donc ? demandai-je ; n’y a-t-elle pas été sous ma protection ? n’en est-elle pas sortie pure, grâce à moi ? et peut-on ignorer dans le pays qu’elle y ait passé deux heures ?

— On l’ignore entièrement, répondit-il ; au moment où elle en sortait, la Roche-Mauprat tombait sous les coups des assiégeants, et aucun de ses hôtes ne reviendra du sein de la tombe ou du fond de l’exil pour raconter ce fait. Quand vous connaîtrez davantage le monde, vous comprendrez de quelle importance il est pour la réputation d’une jeune personne qu’on ne puisse pas supposer que l’ombre d’un danger ait seulement passé sur son honneur. En attendant, je vous adjure, au nom de son père, au nom de l’amitié que vous avez pour elle, et que vous lui avez exprimée ce matin d’une manière si noble et si touchante !…

— Vous êtes très adroit, monsieur l’abbé, dis-je en l’interrompant ; toutes vos paroles ont un sens caché que je comprends fort bien, tout grossier que je suis. Dites à ma cousine qu’elle se rassure. Je n’ai pas sujet de nier sa vertu, très certainement, et je ne suis, d’ailleurs, pas capable de faire manquer le mariage qu’elle désire. Dites-lui que je ne réclame d’elle qu’une chose, c’est cette promesse d’amitié qu’elle m’a faite à la Roche-Mauprat.

— Cette promesse a donc à vos yeux une singulière solennité ? dit l’abbé. Et quelle méfiance peut-elle vous laisser en ce cas ?

Je le regardai fixement et, comme il me semblait troublé, je pris plaisir à le tourmenter, espérant qu’il rapporterait mes paroles à Edmée.

— Aucune, répondis-je ; seulement, je vois qu’on craint l’abandon de M. de la Marche au cas où l’aventure de la