Page:Sand - Mauprat.djvu/146

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agitation continuelle à l’insouciance des autres hommes de ma classe, que j’étais fou. Mais je m’en consolais bientôt en me disant que ma folie était douce, et j’eusse mieux aimé n’être plus que d’en guérir. À présent, il me suffit de savoir que ces choses ont été trouvées belles de tout temps par tous les hommes intelligents, pour comprendre ce qu’elles sont et en quoi elles sont utiles à l’homme. Je me réjouis dans la pensée qu’il n’y a pas une fleur, pas une nuance, pas un souffle d’air qui n’ait fixé l’attention et ému le cœur d’autres hommes, jusqu’à recevoir un nom consacré chez tous les peuples. Depuis que je sais qu’il est permis à l’homme, sans dégrader sa raison, de peupler l’univers et de l’expliquer avec ses rêves, je vis tout entier dans la contemplation de l’univers ; et, quand la vue des misères et des forfaits de la société brise mon cœur et soulève ma raison, je me rejette dans mes rêves ; je me dis que, puisque tous les hommes se sont entendus pour aimer l’œuvre divine, ils s’entendront aussi, un jour, pour s’aimer les uns les autres. Je m’imagine que, de père en fils, les éducations vont en se perfectionnant. Peut-être suis-je le premier ignorant qui ait deviné ce dont il n’avait aucune idée communiquée du dehors. Peut-être aussi que bien d’autres avant moi se sont inquiétés de ce qui se passait en eux-mêmes et sont mort sans en trouver le premier mot. Pauvres gens que nous sommes ! ajoutait Patience ; on ne nous défend ni l’excès du travail physique, ni celui du vin, ni aucune des débauches qui peuvent détruire notre intelligence. Il y a des gens qui payent cher le travail des bras, afin que les pauvres, pour satisfaire les besoins de leur famille, travaillent au delà de leurs forces ; il y a des cabarets et d’autres lieux plus dangereux encore, où le gouvernement prélève, dit-on, ses bénéfices ; il y a aussi des prêtres qui montent en chaire pour nous dire ce que nous devons