Page:Sand - Mauprat.djvu/152

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merait peut-être jamais, et, sans renoncer à la criminelle résolution de la posséder par la force, je cédai à la douleur que me causait sa haine. J’allai m’appuyer au hasard contre un mur sombre, et, cachant ma tête dans mes mains, j’exhalai des sanglots désespérés. Ma robuste poitrine se brisait, et mes larmes ne la soulageaient pas à mon gré. J’aurais voulu rugir, et je mordais mon mouchoir pour ne pas céder à cette tentation. Le bruit sinistre de mes cris étouffés éveilla l’attention d’une personne qui priait dans la chapelle, de l’autre côté du mur où je m’étais adossé à tout hasard. Une fenêtre en ogive, garnie de ses meneaux de pierre surmontés d’un trèfle, était située immédiatement à la hauteur de ma tête.

— Qui donc est là ? demanda une figure pâle qu’éclairait le rayon oblique de la lune à son lever.

En reconnaissant Edmée, je voulus m’éloigner ; mais elle passa son beau bras entre les meneaux et me saisit par le collet de mon habit en me disant :

— Pourquoi donc pleurez-vous, Bernard ?

Je cédais à cette douce violence, moitié honteux d’avoir laissé surprendre le secret de ma faiblesse, moitié ravi de voir qu’Edmée n’y était pas insensible.

— Quel chagrin avez-vous donc ? reprit-elle. Qui peut vous arracher de tels sanglots ?

— Vous me méprisez, vous me haïssez, et vous demandez pourquoi je souffre, pourquoi je suis en colère !

— C’est donc de colère que vous pleurez ? dit-elle en retirant son bras.

— C’est de colère et d’autre chose encore, répondis-je.

— Mais quoi encore ? dit Edmée.

— Je n’en sais rien ; peut-être de chagrin, comme vous avez dit. Le fait est que je souffre ; ma poitrine se brise. Il