Page:Sand - Mauprat.djvu/179

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que je me considère comme morte et mon fiancé comme veuf. Sans mon pauvre père, j’en rirais vraiment ; car la contrariété et la peur sont si peu faites pour moi que je suis déjà lasse de la vie, pour le peu de temps que je les ai connues.

— Ce courage est héroïque, mais il est affreux ! s’écria l’abbé d’une voix altérée. C’est presque la détermination au suicide, Edmée.

— Oh ! je disputerai ma vie, répondit-elle avec chaleur ; mais je ne marchanderai pas avec elle un instant si mon honneur ne sort pas sain et sauf de tous ces risques. Quant à cela, je ne suis pas assez pieuse pour accepter jamais une vie souillée, par esprit de mortification pour des fautes dont je n’eus jamais la pensée. Si Dieu est sévère à ce point avec moi que j’aie à choisir entre la mort et la honte…

— Il ne peut jamais y avoir de honte pour vous, Edmée ; une âme aussi chaste, une intention aussi pure…

— Oh ! n’importe, cher abbé ! je ne suis peut-être pas aussi vertueuse que vous pensez ; je ne suis peut-être pas très orthodoxe en religion, ni vous non plus, l’abbé !… Je me soucie peu du monde, je ne l’aime pas ; je ne crains ni ne méprise l’opinion, je n’aurai jamais affaire à elle. Je ne sais pas trop quel principe de vertu serait assez puissant pour m’empêcher de succomber, si le mauvais esprit m’entreprenait. J’ai lu la Nouvelle Héloïse, et j’ai beaucoup pleuré. Mais, par la raison que je suis une Mauprat et que j’ai un inflexible orgueil, je ne souffrirai jamais la tyrannie de l’homme, pas plus la violence d’un amant que le soufflet d’un mari ; il n’appartient qu’à une âme vassale et à un lâche caractère de céder à la force ce qu’elle refuse à la prière. Sainte Solange, la belle pastoure, se laissa trancher la tête plutôt que de subir le droit du seigneur. Et vous savez que, de