Page:Sand - Mauprat.djvu/186

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c’est une souffrance de moins parmi tant de souffrances ; et pourtant je perds, en apprenant cette indifférence, le dernier espoir que j’eusse conservé de vous voir échapper à Bernard Mauprat.

— Allons, ami, ne vous désolez point : ou Bernard sera sensible à l’amitié et à la loyauté, et il s’amendera, ou je lui échapperai.

Mais par quelle issue ?

— Par la porte du couvent ou par celle du cimetière.

En parlant ainsi d’un air calme, Edmée secoua sa longue chevelure noire, qui s’était déroulée sur ses épaules, et dont une partie couvrait son visage pâle.

— Allons, dit-elle, Dieu viendra à notre aide ; c’est folie et impiété que de douter de lui dans le danger. Sommes-nous donc des athées pour nous décourager ainsi ? Allons voir Patience, il nous dira quelque sentence qui nous rassurera ; il est le vieil oracle qui résout toutes choses sans en savoir aucune.

Ils s’éloignèrent et je demeurai consterné.

Oh ! combien cette nuit fut différente de la précédente ! Quel nouveau pas je venais de faire dans la vie, non plus sur le sentier fleuri, mais sur le roc aride ! Maintenant, je connaissais tout l’odieux réel de mon rôle, et je venais de lire jusqu’au fond du cœur d’Edmée la crainte et le dégoût que je lui inspirais. Rien ne pouvait calmer ma douleur, car rien ne pouvait plus exciter ma colère. Elle n’aimait point M. de La Marche, elle ne se jouait ni de lui ni de moi ; elle n’aimait aucun de nous ; et comment avais-je pu croire que cette pitié généreuse envers moi, ce dévouement sublime à la foi jurée, fussent de l’amour ? Comment, aux heures où cette présomptueuse chimère m’abandonnait, pouvais-je croire qu’elle eût besoin, pour résister à ma passion, d’avoir de l’amour pour un autre ?