Page:Sand - Mauprat.djvu/234

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lente constitution me rendait propre aux fatigues de la guerre ; mes anciennes habitudes de brigand me furent même d’un secours immense ; je supportais les revers avec un calme que n’avaient pas tous les jeunes Français débarqués avec moi, quel que fût d’ailleurs l’éclat de leur courage. Le mien fut froid et tenace, à la grande surprise de nos alliés, qui doutèrent plus d’une fois de mon origine en voyant combien je me familiarisais vite avec les forêts, et comme je savais lutter de ruse et de méfiance avec les sauvages qui inquiétèrent parfois nos manœuvres.

Au milieu de mes travaux et de mes déplacements, j’eus le bonheur de pouvoir cultiver mon esprit dans l’intimité d’un jeune homme de mérite que la Providence me donna pour compagnon et pour ami. L’amour des sciences naturelles l’avait jeté dans notre expédition, et il s’y conduisait en bon militaire ; mais il était facile de voir que la sympathie politique ne jouait dans sa résolution qu’un rôle secondaire. Il n’avait aucun désir d’avancement, aucune aptitude aux études stratégiques. Son herbier et ses observations zoologiques l’occupaient bien plus que le succès de la guerre et le triomphe de la liberté. Il se battait trop bien dans l’occasion pour mériter jamais le reproche de tiédeur ; mais, jusqu’à la veille du combat, et dès le lendemain, il semblait ignorer qu’il fût question d’autre chose que d’une excursion scientifique dans les savanes du nouveau monde. Son portemanteau était toujours rempli, non d’argent et de nippes, mais d’échantillons d’histoire naturelle ; et, tandis que, couchés sur l’herbe, nous étions attentifs aux moindres bruits qui pouvaient nous révéler l’approche de l’ennemi, il était absorbé dans l’analyse d’une plante ou d’un insecte. C’était un admirable jeune homme, pur comme un ange, désintéressé comme un stoïque, patient comme un savant, et avec cela enjoué et affectueux.