Page:Sand - Mauprat.djvu/247

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Quant à moi, je ne riais point, car rien de ce qui semble surnaturel ne manque de frapper vivement l’homme le plus habitué au danger. La jambe en avant, l’œil fixe, le bras étendu, nous nous approchions l’un vers l’autre, moi et lui, non pas l’ombre de Marcasse, mais la personne, respectable, en chair et en os, de l’hidalgo preneur de taupes.

Pétrifié de surprise, lorsque je vis ce que je prenais pour un spectre porter lentement la main à la corne de son chapeau et le soulever sans perdre une ligne de sa taille, je reculai de trois pas, et cette émotion, qu’Arthur prit pour une facétie de ma part, augmenta sa gaieté. Le chasseur de belettes n’en fut aucunement ému ; peut-être pensa-t-il, dans son calme judicieux, que c’était la manière d’aborder les gens sur l’autre rive de l’Océan.

Mais la gaieté d’Arthur faillit redevenir contagieuse lorsque Marcasse me dit avec un flegme incomparable :

— Il y a longtemps, monsieur Bernard, que j’ai l’honneur de vous chercher.

— Il y a longtemps, en effet, mon bon Marcasse, répondis-je en serrant gaiement la main de cet ancien ami ; mais dis-moi par quel pouvoir inouï j’ai eu le bonheur de t’attirer jusqu’ici. Autrefois, tu passais pour sorcier ; le serais-je devenu aussi sans m’en douter ?

— Je vous dirai tout cela, mon cher général, répondit Marcasse, que mon uniforme de capitaine éblouissait apparemment : veuillez me permettre d’aller avec vous, et je vous dirai des choses, bien des choses !

En entendant Marcasse répéter son dernier mot d’une voix affaiblie et comme se faisant écho à lui-même, manie qu’un instant auparavant j’étais en train de contrefaire, Arthur se remit à rire. Marcasse se retourna vers lui et, l’ayant regardé fixement, le salua avec une gravité imper-