Page:Sand - Mauprat.djvu/253

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il n’était pas plus étonné de sa nouvelle destinée que s’il eût parcouru la distance de Sainte-Sévère à la tour Gazeau.

La seule chose insolite que je remarquai en lui fut qu’il se retournait de temps en temps et regardait en arrière, comme s’il eût été tenté d’appeler quelqu’un ; puis aussitôt il souriait et soupirait presque au même instant. Je ne pus résister au désir de lui demander la cause de son inquiétude.

— Hélas ! répondit-il, habitude ne peut se perdre ; un pauvre chien ! un bon chien ! Toujours dire : « Ici, Blaireau ! Blaireau, ici ! »

— J’entends, lui dis-je ; Blaireau est mort, et vous ne pouvez vous habituer à l’idée que vous ne le verrez plus sur vos traces.

— Mort ? s’écria-t-il avec un geste d’épouvante. Non, Dieu merci ! Ami Patience, grand ami ! Blaireau heureux, mais triste comme son maître, son maître seul !

— Si Blaireau est chez Patience, dit Arthur, il est heureux en effet, car Patience ne manque de rien ; Patience le chérira pour l’amour de vous, et certainement vous reverrez votre digne ami et votre chien fidèle.

Marcasse leva les yeux sur la personne qui semblait si bien connaître sa vie ; mais, s’étant assuré qu’il ne l’avait jamais vue, il prit le parti qu’il avait coutume de prendre quand il ne comprenait pas ; il souleva son chapeau et salua respectueusement.

Marcasse fut, à ma prompte recommandation, enrôlé sous mes ordres, et, peu de temps après, il fut nommé sergent. Ce digne homme fit toute la campagne avec moi et la fit bravement, et, lorsqu’en 1782 je passai sous le drapeau de ma nation et rejoignis l’armée de Rochambeau, il me suivit, voulant partager mon sort jusqu’à la fin. Dans les premiers jours, il fut pour moi un amusement plutôt qu’une